- May 16, 2022
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Notre équipe a récemment rencontré Frédéric Robin, Country Leader de Sogeti au Luxembourg et Vice-President Capgemini depuis le 1er mai. Pour ITOne, il revient, entre autres, sur son parcours, le modèle d’organisation de Sogeti et son articulation avec le groupe Capgemini.
Pouvez-vous
évoquer votre parcours et le chemin qui vous a mené chez Sogeti ?
Frédéric Robin :
Je viens de l’Ouest de la France. Je suis arrivé au Luxembourg pour ma
coopération (CSNE : coopération
du service national à l’étranger) chez Bull puisqu’il fallait que je travaille
dans une entreprise française et que je souhaitais évoluer dans la tech. C’est
comme ça que j’ai «atterri» au Luxembourg. J’étais venu ici pour le temps de ma
coopération et dans l’intention de repartir après. Et puis comme beaucoup, j’ai
trouvé mon équilibre ici.
Professionnellement,
j’ai essentiellement travaillé pour IBM (16 ans) et Accenture (6 ans). J’ai
commencé chez IBM Luxembourg où j’étais dans des fonctions commerciales,
notamment pour des grands comptes financiers, puis j’ai été appelé à IBM France
à Paris pour m’occuper des fonctions centrales du Crédit Agricole en tant
qu’ingénieur d’affaires. J’y suis resté 3 ans.
Je gérais un des
grands comptes d’IBM en France et je commençais par être un peu lassé d’une
fonction uniquement commerciale. En effet, dans un marché en constante
évolution, je voulais piloter des projets de transformation. Cette situation me
permettait une meilleure capacité de projection dans la prise de décision en
ayant été confronté aux réalités du delivery de projets. J’ai donc démissionné
d’IBM pour rejoindre Accenture.
J’y ai travaillé
sur des projets de stratégies informatiques, de transformation d’Operating
Model, d’alignement de stratégie métier à la stratégie informatique, des sujets
de transformation IT chez des acteurs de l’industrie financière ou du secteur
public. J’ai également été actif dans l’intégration de systèmes, notamment dans
le secteur public. Puis après 6 ans chez Accenture, j’ai été appelé à rejoindre
de nouveau IBM pour transformer les structures Luxembourgeoises d’un modèle de
business plutôt transactionnel à un modèle de services et de conseil.
Malheureusement,
les marges de manœuvre dans les structures internationales à Luxembourg sont de
moins en moins importantes. En fait, la matrice organisationnelle fait que la
responsabilisation que vous avez localement est très diluée. C’est d’autant
plus patent aujourd’hui qu’il y a quelques années. De nature plutôt actif, je
souhaitais retrouver une entreprise globale leader portant très haut les
valeurs d’éthique dans les affaires mais avec une responsabilisation locale.
C’est-à-dire porter le P&L («profits & losses») localement. C’est ce
que j’ai trouvé avec Sogeti, le visage historique du groupe Capgemini à
Luxembourg.
Vous prenez le
relais d’Alain Gena et de Philippe Margraff. En quoi vous inscrivez-vous dans
leurs pas? Que comptez-vous impulser ?
F. R. : Bien sûr
que je m’inscris dans leurs pas. Ce qui m’intéressait chez Sogeti Luxembourg,
c’était d’abord de prendre la succession de deux personnes connues sur le
marché qui ont eu une carrière exemplaire au sein du groupe Capgemini depuis
leurs arrivées dans les années 1990. Ils
me laissent une maison en ordre avec une équipe qui fonctionne bien, une
structure locale avec un service marketing local, un service RH local, etc. La
structure est locale chez Sogeti. Ce n’est pas le cas dans toutes les
entreprises technologiques.
Sous Alain Gena
et Philippe Margraff, Sogeti était scindée en deux : une entité « secteurs
privé et public luxembourgeois » et une entité « secteur public européen » car
c’est un modèle très différent avec un mode opérationnel différent mieux adapté
à ce secteur. Donc, ce que je compte impulser, c’est d’abord le rapprochement
de ces deux entités afin de créer un «pays» Sogeti et permettre plus de
fongibilité dans la gestion des ressources. Ensuite, il nous faudra apporter
dans le pays le savoir-faire et les compétences des autres marques du groupe
Capgemini (Capgemini, Capgemini Invent et Capgemini Engineering). Au
Luxembourg, nous avons trois leaders qui gèrent nos projets du secteur public
européen et trois autres leaders qui gèrent nos practices des secteurs privé et
public luxembourgeois. Si vous ajoutez notre CSO et notre HR manager, vous avez
notre Executive Committee. Notre rôle est de proposer une vision d’avenir pour
l’entreprise au Luxembourg. Plus particulièrement, je dois animer cette équipe
de leaders et libérer leur énergie pour continuer de croître et rester
pertinent sur notre marché.
Au global, nos
collaborateurs se répartissent sur les sujets suivants : Digital experience
& Innovation, Digital Assurance & testing, Infrastructure management
& managed cloud, Cybersecurity, Data management & Business analytics.
Nous disposons notamment d’un Security Operations Center (SOC) basé à
Luxembourg qui fonctionne 24/7, notamment pour des institutions locales et globales.
L’intérêt de ce
rapprochement est de permettre plus de transversalité, plus de partage
d’expériences, un focus beaucoup plus fort sur le portfolio d’activités. Par
exemple, nous avons beaucoup de statisticiens, de mathématiciens dans des
institutions européennes ou globales. Ces compétences en data management &
business analytics sont utiles aussi dans le secteur financier. Ainsi, cette
practice data management et business analytics, au lieu de fonctionner
uniquement pour un secteur donné, pourrait aussi apporter de la valeur à
d’autres secteurs d’activités.
Enfin, ce que je
souhaite apporter, c’est une meilleure ouverture au groupe. Nous sommes un PSF
de support. Cette situation nous permet, notamment, de mettre une emphase sur
la gouvernance locale renforcée, sur la sécurisation de notre delivery, etc.
Mais dans le même temps, cela entraîne un certain nombre de contraintes. D’une
certaine manière, il nous faut aussi nous ouvrir au-delà des frontières du
Luxembourg. Il y a un certain risque de se sentir différent au sein du groupe
et ainsi d’oublier de regarder ce qui se fait de bon à l’extérieur. C’est
évidemment essentiel d’avoir une qualité de services irréprochable mais il est
tout autant important d’apporter l’innovation qui permettra au Luxembourg de
conserver une longueur d’avance. Ainsi, sur l’innovation, le cloud computing,
l’utilisation de l’IA, les modes de sourcing innovants, il est essentiel de
nous inspirer de ce qui se fait à l’extérieur. C’est une question de
compétitivité nationale.
Par exemple, pour
l’adoption du cloud, le Luxembourg a démarré plus tard que d’autres pays. Or
l’innovation vient du cloud. Par exemple, un nombre important de solutions
innovantes ne sont plus accessibles qu’au travers une intégration d’API dans
les Systèmes d’Information.
Un autre sujet me
tient particulièrement à cœur – et aussi au groupe – et que je compte prendre
encore plus en considération : la responsabilité sociale de l’entreprise.
Ainsi, d’ici 2025, le groupe Capgemini sera carbon neutral dans ses opérations et
complètement net zero emissions bien avant tout le monde, d’ici 2030. Pour
citer un exemple concret : il n’est plus permis de commander de voitures
thermiques au sein du groupe Capgemini. Le groupe alloue également des fonds à
des startups qui travaillent sur le réchauffement climatique, notamment sur la
protection des océans.
Historique du groupe Capgemini
Justement,
comment s’articule l’association avec le groupe Capgemini dont Sogeti
Luxembourg est membre et quels en sont les avantages ?
F. R. : Sogeti
Luxembourg c’est 700 personnes, c’est-à-dire une entreprise technologique
digitale importante dans le pays. 700 talents qui sont au centre de nos
préoccupations et qui constituent notre valeur. Chacune et chacun des membres
de notre organisation joue un rôle important qu’il convient de suivre et faire
évoluer en fonction de leurs besoins et de ceux de notre marché. Mais cette
équipe fait partie d’un groupe beaucoup plus grand. Sogeti c’est 17 000
personnes dans le groupe Capgemini qui emploie autour de 300 000 personnes.
C’est la plus grande entreprise digitale en Europe.
C’est pourquoi
nous souhaitons une plus grande ouverture et intégration au groupe, qui a des
compétences sectorielles très fortes et donc il faut aller chercher les bonnes
compétences et les bons assets là où ils sont. Au-delà de mon rôle de leader
Sogeti Luxembourg, le rôle de Capgemini Country Board’s chair m’a été confié.
Il s’agit ici d’assurer une bonne coordination de l’exécution des initiatives
transversales du groupe Capgemini. Il s’agit de faire prendre corps à un « One
Capgemini » au Luxembourg regroupant les activités des différentes composantes
du groupe (Capgemini pour le delivery de programmes complexes, Capgemini
Financial Services, Capgemini Invent pour le conseil, Capgemini Engineering et
Sogeti).
Chez Sogeti
Luxembourg, nous bénéficions déjà largement du système d’information du groupe
et de son modèle opérationnel, de ses systèmes RH (notamment de la Capgemini
University qui permet à nos collaborateurs d’avoir accès à un catalogue énorme
de formation) ainsi que des systèmes financiers.
Les quatre marques du groupe Capgemini
À l’heure de la
transformation digitale, les demandes de vos clients sont en constante
évolution. Quelle est la « méthode Sogeti » pour répondre le plus efficacement
à leurs besoins ?
F. R. : La
transformation digitale n’est pas quelque chose de nouveau mais le phénomène
s’est fortement accéléré avec la pandémie. Le premier sujet c’est : d’abord
s’occuper de ses équipes. Le reste suivra. Le fait d’avoir des équipes
compétentes, motivées, engagées et qui partagent les valeurs de l’entreprise
est extrêmement important pour pouvoir stabiliser ses équipes. L’ancienneté
moyenne chez Sogeti est d’ailleurs élevée pour une entreprise de transformation
digitale.
Ensuite, ça
dépend du besoin et du niveau de maturité des projets. Si nous devons
travailler sur les aspects amont de la stratégie, sur les processus, alors nous
ferons appel au groupe Capgemini en appelant nos collègues de Capgemini Invent.
Actuellement Capgemini Invent travaille avec un certain nombre de grands clients
du secteur financier Luxembourgeois notamment sur les phases amont pour
préparer, par exemple, un master plan de transformation digitale. C’est-à-dire
une étude stratégique pour cadrer les besoins.
La marque Sogeti
est, quant à elle, plus focalisée sur le delivery, une fois que la vision est
définie. Sogeti c’est la House of Technology Talents du groupe Capgemini.
Pouvez-vous nous
parler de Rightshore, le modèle global de prestation de Sogeti ?
F. R. : Le
rightshore – c’est-à-dire le bon équilibre entre onshore et offshore et les
choix d’une ou plusieurs localisations en fonction de plusieurs critères – je
tiens à le souligner, ce n’est pas qu’une question technique. Le Luxembourg,
par rapport à d’autres pays, n’est pas allé aussi vite que d’autres pays dans
l’utilisation du near et de l’offshore. Cela représente maintenant un réel
challenge à un moment où les compétences digitales sont une denrée rare.
Il faut tout
d’abord voir le near, off et rightshore non pas comme une capacité de trouver
des ressources abordables mais plutôt comme la possibilité d’avoir accès à un
pool de ressources plus grand qui soit totalement impliqué dans les équipes
locales. Pour le groupe Capgemini, dès le début, l’offshore a été essentiel.
C’est une des singularités de Capgemini par rapport à d’autres fournisseurs.
Nous avons plus de 100 000 employés en Inde par exemple. Des collègues indiens
sont dans toutes les organisations de Capgemini globalement. Y compris dans le
leadership de Capgemini au BeLux, il y a un certain nombre d’Indiens à des
positions clés. La qualité de leurs formations techniques ou managériales et
leurs capacités d’adaptation sont remarquables.
Ensuite, on a
fait en sorte de développer le nearshore et le rightshore parce qu’on se rend
compte que c’est encore plus important maintenant que tout le monde se
transforme digitalement. Chez Sogeti, nous avons, à peu près, une centaine de
postes ouverts à Luxembourg. Nous avons des difficultés à trouver des
ressources en nombre suffisant, il devient difficile de recruter localement et
cela met en danger l’économie luxembourgeoise d’ailleurs, de manière globale.
Il est grand temps de repenser complètement nos Operating Models. Vous avez
quand même une pression toujours très forte sur les coûts et sur la recherche
de talents. Donc la possibilité d’avoir accès à des centres de nearshore
disséminés notamment en Europe est devenue critique. Par exemple, chez Sogeti
et Capgemini, nous avons un certain nombre de centres d’offshore en Europe, au
Portugal, en République tchèque, en Espagne, en Pologne, en Hongrie, en
Roumanie.
Quand vous voulez
faire du righshore, vous regardez plusieurs aspects. Sogeti, par exemple, est
très pertinent pour les projets de migration vers le cloud ou de modernisation
d’applications. Ainsi, le responsable du portefeuille de cet offering est en
Inde. Normalement, les porteurs des offres sont en Europe. Nous intervenons
naturellement localement mais avec le support de l’Inde sur ce sujet. Nous
avons donc, ici, renversé les idées reçues.
Ensuite, il y a
le choix de la localisation. Il faut choisir un endroit où vous avez des
universités de qualité. Il faut une relation entre le management local, les
universités. La stabilité politique est également un critère, même en Europe.
Il faut des relations politiques à très haut niveau. Vous allez également être
attentif à la question des langues, aux coûts de connexion technique, à la
latence des connexions. D’ailleurs, sur
le sujet de la qualité de connexion, le Luxembourg a fait des choses
formidables. Il y a eu des investissements au niveau national pour aller vers
les grands hubs internet et là le Luxembourg a vu les choses en amont.
Il faut également
prendre en compte le fait de s’inscrire dans un réseau global qui fonctionne
avec les mêmes outils, les mêmes méthodes de travail, la même culture
d’entreprise. La taille du pays et sa situation fiscale sont également des
critères essentiels.
Nous avons déjà
des projets qui fonctionnent avec des équipes en nearshore. Notamment une
équipe importante qui travaille à partir d’un centre nearshore francophone pour
la maintenance évolutive et corrective du patrimoine applicatif d’un client
Luxembourgeois. L’équipe de plusieurs dizaines de collègues est totalement
intégrée.
Puisque le marché
luxembourgeois est extrêmement tendu en ressources technologiques, l’accès à
d’autres pools de ressources est absolument critique aujourd’hui, plus que
jamais. Mais avoir des ressources, ça veut dire aussi s’engager à former les
gens pour qu’ils soient adaptés demain aux besoins du marché, s’engager aussi à
faire monter en compétences les gens localement. Aucune entreprise ne peut se
permettre de ne pas avoir le digital au cœur de sa stratégie.
Quels sont les
grands défis auxquels devra faire face Sogeti à l’avenir ? Quelles sont les
principales évolutions qui vont marquer le secteur ?
F. R. : Tout ce
qui tourne autour du cloud et data management et business analytics, combinés
avec l’intelligence artificielle, formera demain les deux piliers de la
croissance du groupe Capgemini. Toutes ces nouvelles technologies sont des clés
pour répondre aux challenges de demain. Notamment un qui nous tient
particulièrement à cœur : le réchauffement climatique.
La nature du
travail de demain va changer. Beaucoup d’emplois d’aujourd’hui vont
disparaître. Il n’y aura pas moins d’emplois mais ils seront différents, ce qui
veut dire que la formation devra être différente. La technologie ne va pas
remplacer les hommes, elle va changer la nature de la valeur qu’ils généreront.
Et pour pallier
le manque de ressources à l’avenir, il y a deux piliers : le rightshoring et
l’automatisation des tâches (RPA - Robotic Process Automation - et Intelligence Artificielle).
Nous continuons
d’investir énormément dans la formation de notre personnel. Nous avons des
collègues RH entièrement dédiés à la formation. Un de nos objectifs pour la fin
de cette année, c’est d’avoir 100% de nos collaborateurs certifiés sur les
technologies du marché. Et à ce titre, nous sommes proches d’un certain nombre
d’éditeurs de logiciels, de fournisseurs de technologies.
Qu’est-ce que la
pandémie de Covid-19 a changé dans le fonctionnement de vos équipes ?
F. R. : Le groupe
a été suffisamment solide et agile pour s’adapter. Il est évident que ça
change, on ne peut le nier. Personnellement je préfère voir les gens. Le
tout-distance, c’est très difficile. Philosophiquement, l’altérité nous
construit. Même si nous avons appris à travailler à distance, les aspects
informels de notre quotidien manquent. Ainsi, cette altérité est difficile à
expérimenter à distance. L’impact du confinement sur le moral des troupes ne
doit pas être sous-estimé. Le rôle du manager doit évoluer. Nous ne viendrons
plus au bureau mécaniquement mais plutôt à des moments pour lesquels la
collaboration ne peut se faire à distance. Il est important de se voir : nous
sommes des animaux sociaux. Il ne faut pas faire du travail à distance un
mantra, ce n’est pas très sain. À la fin, c’est la performance générale qui
compte.
D’un point de vue
pratique, nous avons développé une app localement pour gérer les présences au
bureau. Les employés peuvent, bien sûr, venir au bureau mais dans une certaine
limite après accord du manager. On ne va pas forcer les gens à venir au bureau
tous les jours. Au niveau du groupe Capgemini, un projet intitulé « New Normal
» a été mis en place.
Nous allons accompagner nos salariés dans la limite des restrictions fiscales. Au Luxembourg, comme beaucoup, nous sommes très dépendants des pays frontaliers. Nous espérons donc que les solutions politiques à ces restrictions vont continuer à évoluer dans le bon sens rapidement. Nous ne reviendrons plus en arrière. Cela implique nécessairement beaucoup de changements en termes de système de management.
Propos recueillis par Nicolas Klein